Les cahiers du CRASC, N° 35, 2019, pp. 7-9, ISBN : 978-9931-598-19-0 | Texte intégral
Présentation
Le projet de rechercAhe sur : Les inscriptions funéraires dans la presse écrite: composantes et caractéristiques est l'approfondissement de deux projets de recherche inscrits dans les programmes du Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle. Le premier est intitulé : Les inscriptions funéraires dans l’Ouest algérien: stéréotypes et renouvellement. Le deuxième a été inscrit dans le cadre de Projets Nationaux de Recherche (PNR : 2011-2014) portant sur : Les inscriptions funéraires dans le cimetière d’Ain El- Beida à Oran et le cimetière de M’douha à Tizi-Ouzou. Il s’agit dans ces projets, de mettre en exergue les discours des acteurs face à l’évènement de la mort.
Dans le premier projet, nous avons identifié le formulaire utilisé cimetière comme à Ain el Beida depuis sa création en 1956 jusqu’à 2013, en gardant en vue l’approche comparative avec d’autres espaces islamiques et non islamiques. A partir d’un contexte général, nous avons constaté une évolution du formulaire et des inscriptions funéraires sur de longues périodes. Plusieurs travaux le confirment dont : le Répertoire chronologique d’épigraphie arabe, les travaux de Max Von Berchem et la Revue africaine. Concernant le PNR, nous avons travaillé sur deux localités, Oran et Tizi-Ouzou. Au départ, nous avons émis l’hypothèse que ces deux villes seraient différentes l’une de l’autre au moins au niveau de la langue : la langue arabe et le Tamazight. En réalité, le formulaire à Tizi-Ouzou s’inscrit plutôt dans une dimension religieuse où le nom de Dieu est évoqué en haut de la stèle : « Dieu est grand et il n’y a de Dieu qu’Allah », avec l’usage du français et de l’arabe seulement.
En ce qui concerne cet ouvrage, nous avons mené des recherches sur les pratiques nécrologiques dans la presse algérienne durant la période coloniale et postcoloniale. Nous avons opté pour l’analyse de contenu et la comparaison entre les périodes, les langues et les évènements. L’ouvrage se subdivise en quatre chapitres : tout d’abord, Mohamed Hirreche Baghdad, s’intéresse aux classiques de la littérature arabo-musulmane où il s’agit de constituer des biographies de personnes mortes comme le cas de l’ouvrage d’Ibn Khallikân : Wafayat al- a’yanwa- anbaabnaaz- zaman, c’est-à-dire : la nécrologie des hommes illustres et l’histoire des contemporains. Aussi, l’auteur procède à une comparaison entre les journaux en langue française El-Watan et ceux en langue arabe El-Khabar. Bououachma Elhadi, se penche sur les écrits funéraires dans la presse coloniale. Pendant cette période, les algériens ayant le statut d’indigènes, n’avaient que peu d’accès à la presse française réservée aux européens, il montre ainsi l’aspect laïc des annonces en relation avec la mort. Quant à Lahcen Redouane, qui travaille sur les corpus d’El Khabar, IL propose un lexique pour chaque catégorie d’annonce. Il insiste sur le paradoxe entre oralité et écrit. Zouaoui Benkeroum, a suivi l’évolution du journal El-Joumhouria. Son travail reflète à travers ses résultats une nette différence entre les deux périodes : El-Joumhouria en langue française et dont les écrits funéraires avaient hérité de la presse française l’esprit laïque, et El-Joumhouria reconverti en langue arabe en 1976 et dont les annonces adoptaient à nouveau les formules religieuses. Le résultat est que les deux journaux ont les mêmes types d’annonces : décès, condoléances, remerciements, 40ème jour et pensées, avec un équilibre au niveau du contenu entre les sentiments familiaux et les croyances religieuses. Tout de même, il y a dans la presse en arabe une fréquence plus élevées de la référence à la rahma (la miséricorde).
Dans ce champ de recherche, l’équipe du projet conclue qu’il existe trois catégories de textes funéraires qui se manifestent dans trois registres :
Premièrement, le registre des annonces de la presse écrite et dont nous constatons un équilibre entre le religieux et les émotions humaines. Nous avons dans ce registre cinq grandes occasions : tout d’abord, l’annonce du décès qui se fait le premier jour. Cette annonce est suivie par la présentation des condoléances par l’entourage et les proches du défunt. Par la suite, arrivent les remerciements et à l’occasion du Quarantième Jour, un texte commémoratif est publié En dernier lieu, et à l’occasion du premier anniversaire du décès, les proches marquent cet évènement par un texte-pensée. En fait, deux éléments caractérisent ce dernier : le premier est en relation avec la mémoire du défunt et le deuxième se rapporte aux sentiments des proches. En conséquence, nous constatons que dans le registre de la presse écrite, les sentiments sont mis en exergue tout en préservant la mémoire des morts.
Deuxièmement, le registre des inscriptions sur les stèles obéit à une autre logique qui est celle de la croyance où la patience est une vertu à respecter.
Ici, l’"épitaphe" se résume à une demande adressée au visiteur pour dire des prières et lire la Fatiha pour l’âme du défunt. Ces pratiques en association avec ce type d'écriture sont régies par des formulaires aboutissant à des stéréotypes. Toutefois, il existe dans l'histoire des inscriptions arabo-musulmanes une grande diversité dans le contenu. Cela dit, les textes funéraires restent ouverts sur de multiples registres et sources.
Troisièmement, le registre de l’oralité se démarque des deux premiers car il est par excellence le domaine de l’exhibition des sentiments. Tout en préservant et sauvegardant les registres, les pleureuses professionnelles, transgressent les frontières en s’inquiétant sur le sort tragique du malheureux défunt.
Afin d’enrichir cet ouvrage, nous avons ajouté le texte de Nicolas Vatin qui présente l'évolution des épitaphes Ottomans du XVIe au XIXe siècle en les concéderant en tant que source pour l'histoire sociale. Le formulaire dans la tradition ottomane est basé sur les éléments suivants: l'invocation de Dieu, les considérations sur la mort, le groupe nominal précédé par la demande de la grâce, l’interpellation du passant et la date de décès en chiffres. Reste que les éléments permanents sont : l’invocation pieuse, le groupe nominal, l’interpellation du passant, « el Fatiha » et la date de décès.
En dernier, nous rappelons que les écrits funéraires sur les stèles ou dans la presse écrite ne font pas partie des rites funéraires. Les acteurs en période de deuil se focalisent principalement sur les pratiques rituelles : c’est-à-dire la lecture du Coran, la visite au cimetière, les offrandes et les bienfaisances visant le salut de l’âme du défunt.