Les cahiers du Crasc, N°15, Turath N°6, 2006, p. 125-142 | Texte intégral
Ahmed-Amine DELLAÏ
Cette série de documents que nous présentons fait partie d’un dossier d’archives, que nous avons pu consulter aux Archives d’Outre-Mer (Aix-en-Provence), classé dans la série « Affaires indigènes », sous série « surveillance politique des indigènes », contenant des rapports sur l’activité artistique des musulmans d’Algérie de l’année 1906 à 1944[1].
Chacun de ces 18 documents contient la traduction d’une chanson du chanteur, de style « bédouin », Taieb ben Amor à partir de son enregistrement sur disque.
Le chanteur, qui habitait Constantine, était probablement un interprète du genre sétifien comme le laissent penser les nombreuses références à Sétif et à sa région dans les textes. En dehors de cela, nous ne savons rien sur ce chanteur que les ouvrages de référence ne mentionnent pas[2].
Quant aux documents eux-mêmes, nous les reproduisons tels quels, dans leurs moindres détails, sans toucher aux fautes de frappe ou incorrections qui les émaillent.
Nous pensons que ces traductions, dans l’attente de retrouver les versions arabes de ces textes, ne sont pas dénuées d’intérêt car elles peuvent nous donner déjà une idée de ce qu’était le répertoire d’un chanteur populaire de l’Est algérien du début du XXè siècle, qui plus est, chanteur soumis à surveillance par les renseignements coloniaux.
Répertoire, par ailleurs, curieusement si proche de ce qui se chantait à la même époque, par exemple, dans l’ouest algérien comme chansonnettes du style bédouin oranais, issues du chant classique melhoun, mais libérées de ses contraintes et repeintes aux couleurs de l’époque. Chansonnettes bédouines qui allaient donner naissance, plus tard, en Oranie, au genre « Raï ».
Et la chanson n°7, ici, a tout d’une chanson de style « Raï ». Aventurons-nous à poser la question : n’y a-t-il pas là, traversant tous ces textes du Constantinois, comme un souffle de liberté amoureuse qui renvoie irrésistiblement à l’esprit du « Raï » ? Pourquoi ce même processus qui a conduit à la naissance de la chansonnette rurale libre à partir d’une évolution du chant bédouin classique n’a pas débouché, dans l’Est algérien, sur un genre moderne équivalent au « Raï » ? Ainsi, pourquoi toutes les tentatives actuelles de créer un équivalent populaire du « Raï » à partir d’une tradition musicale constantinoise, comme le genre « Staïfi », connaissent-elles relativement l’échec?
C’est à toutes ces questions, et à d’autres[3], que nous convient ces textes pleins d’une étrange et rugueuse poésie authentiquement algérienne.
Document 1
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Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Lali dhoued aber men hosn eldjairine
Editer (sic) par la St Nobel française, Bd Hausman(sic), Paris
N° du visa :
Chanson accompagnée de la flûte
Ah ! Si j’avais un beau cheval nerveux…Je prendrais les rênes dans les mains, je l’enfourcherais et, au grand galop, j’irais à Bordj où je passerai ma soirée de joie.
Ferhat m’a dit de me rendre immédiatement auprès de lui et m’a recommandé de chanter Hadda et Garmia, moyennant telle récompense qu’il me plaira d’exiger.
Je chante les deux femmes notoirement connues.
Leurs dents sont de véritables pièces d’argent.
La bouche, en forme de bague, est reluisante comme l’or.
Les lèvres sont aussi douces que le miel des palmiers ; ce sont des médicaments pour les malades.
La joue est la flamme qui éclaire les veilleurs de la nuit, ceux qui passent leur soirée à faire des parties de carte et les amoureux qui vident les verres de sirop et de pernod.
Ce sont de véritables gazelles, farouches et au dos soyeux, elles sont attrayantes.
Document 2
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Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Ferkg Elhmem Ya Saken Droudj Errekhem
Editer (sic) par la St Nobel française, Bd Hausman(sic), Paris
N° du visa :
Chanson accompagnée de la flûte
O jeune pigeon, toi qui demeure dans ces escaliers marbrés
Sache que je suis affecté d’amour
Pourquoi cherche-t-il donc des excuses ?
Vas voir celui qui a rédigé l’acte de sa main, et je te conseille de garder ton sang froid et ne pas te laisser impressionner par la beauté de ma bien-aimée
Fais venir celui qui avait donné sa parole et consenti à notre alliance.
Oui, nous avons conclu le mariage devant des arabes, des chrétiens, des autorités et le maire a rédigé l’acte
Vas voir, la plus belle et la plus charmante des jeunes filles, celle dont la peau est plus douce que les plumes du rossignol,
Dont les yeux sont noirs, élégante, coquette et parée de bijoux.
Tu la trouveras vêtue de sa plus belle robe, dans le jardin de noyers
- Ah ! je sens brûler mon cœur !
Ce feu est éteint maintenant, ma bien-aimée est revenue chez moi, malgré les intrigues des gens, les hommes sont venus chez moi, ils ont fait l’inventaire de mes biens, et le « Hakem » s’en fut content.
Ils se sont approvisionnés, le fils du Caïd et Elhadj
Mais je ne crois en quelqu’un qu’autant qu’il fait un voeur (sic) de ses sentiments amoureux.
Document 3
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Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Ya Elghoumri Saken Lestah
Editer (sic) par la St Nobel française, Bd Hausman(sic), Paris
N° du visa :
Chanson accompagnée de la flûte
O pigeon ; toi qui habite les toits et occupe les lieux élevés
Pourras-tu agiter tes ailes et aller saluer de ma part, celle dont la corpulence est charmante ?
Donne-lui les nouvelles exactes et dis-lui que Lakhdar te languit
Dis-lui que tu l’as oublié et arraché de tes souvenirs, ton cœur est donc serein ! Quant à lui il ne pense qu’à toi
O mon entourage, j’aime Fatma celle qui répond Pigeon, ô mon ami, hâte-toi, n’ai pas peur de la solitude
Je te conseille de pénétrer dans la demeure et si tu meures, dis-toi bien que c’est la destinée
O, Khachana, tes amusements m’attirent
Et pour ton amitié j’userai de toute ma patience
O toi, dont les yeux et la marche sont charmante, tu m’as conquis
Quand tu parles, je perds le contrôle de moi-même
Toi qui m’as fait des promesses avec ton départ
Son époux a fortifié la demeure qu’il a fermée à l’aide d’une porte métallique
Je ne trouve plus aucun refuge
Il ne me reste plus qu’à invoquer Charfa Ahmed
Document 4
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Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Fergh El-Hemem
Editer (sic) par la St Nobel française, Bd Hausman(sic), Paris
N° du visa :
Chanson accompagnée de la flûte
A moi, pigeon voyageur, dada n’est pas arrivé est-il malade ?
A moi, pigeon voyageur, veux-tu porter des nouvelles à Dada.
Elle mit des souliers aux talons hauts
Lui, n’est toujours pas arrivé, est-il malade ?
Elle mit un collier avec un pendentif et dit : « Il n’est pas rentré, buvez puisque vous avez terminé ».
Tu es aussi grande qu’un palmier de belle espèce aux régimes retombant et d’une valeur inestimable, O Hadada
Sidi-Salah, que Dieu te préserve, autorise les jeunes filles à marcher devant toi.
Il est passé par là, vêtu d’un beau gilet, il y a deux ans que je ne l’ai pas vu et depuis, il n’a fait par partie d’aucune « Djeumas
Elle a mis des souliers neufs et brodés et a dit : « Il n’est pas venu, certes son pays est éloigné ».
Faites venir Messaouda la fille d’Elkoam
Elle a détourné le fils des tiers au point qu’il devint un errant
Elle mit des souliers avec hauts talons et dit : « Il n’est pas rentré, est-il en voyage ? »
Son chameau est là, immobilisé,
Son amant est assoiffé.
Document 5
Marque « Diamophone »
Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Heb Errih El-Gherbi
Editer (sic) par la St Nobel française, Bd Hausman(sic), Paris
N° du visa :
Chanson accompagnée de la flûte
Le vent d’ouest souffle et souffle encore
Le feu s’est éteint, comment pouvoir aller au devant de mon bien-aimé ?
Faites des invocations pour moi et ainsi mon cœur recouvrera sa sérénité
Je te conseille, en toute conscience, de ne jamais suivre la personne de condition basse
Car en ce faisant tu seras humilié
Suis la personne appartenant à un élevé degré,
Et ainsi, toutes les gloires te seront acquises
Je suis blessé dans mes entrailles ; elles saignent et se désagrègent
Plus de frères, mon fils Amar n’est plus là, qui donc osera me consoler ?
Toi qui mesures le blé, exposes le vent qui emportera ses débris
Quand le cœur est inquiet, son image se reproduit et se dessine sur le visage
Je te conseille de ne jamais élever outre mesure le mur en pisé et n’élève pas non plus ses fondations, comme aussi n’élève pas l’enfant d’autrui car il grandira et rejoindra les siens
Salah ! ô mon vieil ami ! Ses yeux étaient doux et ses sourcils arqués
Toi qui achète le blé, sache que les dattes sont chères, qu’elles sont transportées sur les plus beaux chameaux au milieu de la nuit.
Document 6
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Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Laghroum Ehln Lezmia
Editer (sic) par la St Nobel française, Bd Hausman (sic), Paris
N° du visa :
Chanson accompagnée de la flûte
Je veux parler aux gens de hautes conditions et jaloux de leur degré, ceux qui portent des turbans et des bagues orientaux et qui ne cessent de s’enquérir des jeunes filles
Elle lui a dit : « Fais toi connaître, allume un feu qui dégagerait de la fumée, car je me sens torturée par la fièvre et mon cœur flambe. »
Elle est couchée dans un cimetière, sans même un oreiller mais avec, pour toute couverture, sa chevelure épaisse.
L’oued, est en crue, les coupeurs de routes y sont blottis ; ils arrêtent les débauchés et ceux à qui l’on propose des rendez-vous amoureux.
Allez-vous la belle Garmia et campez sur la rive de l’oued.
Son amour flambe dans mon cœur j’en suis souffrant et alité
Je dépéris et mes sentiments aussi, l’oreiller lui-même est rusé
Ah ! si ma bien-aimée que tu ne te divertis pas dans ce monde… ? ici-bas les divertissements profitent uniquement aux amoureux
Document 7
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Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Terjachi Leyem
Editer (sic) par la St Nobel française, Bd Hausman(sic), Paris
N° du visa :
Chanson accompagnée de la flûte
Les jours écoulés reviendront-ils ?
O sidi EL KHEIR, je commencerai par toi,
Je suis amoureuse, pourquoi donc se retient-il ?
Faut-il que j’écrive ou que je lui envoie ?
Je partais à [4]pendant qu’il jouait aux dominos
O Chekhra, que Dieu l’assiste !
Pendant que je partais vers Fromentin, je l’ai vu et lui dis : « Là nous boirons et nous coucherons » oui, nous dormirons à la maison de tolérance
Et une seule chose m’a peiné, c’est d’avoir entendu dire :
« Elle l’a aimé et quand elle but elle l’abandonna »
Pendant que je me rendais à Abbès, je vis Khedidja Fougas – j’ai dit :
« Servez-moi un verre »
Sur mon chemin, vers Souk-Ahras, j’ai dit :
« Mon amour dure longtemps et mon bien-aimé ne vient pas encore »
Quand je partais vers Harmalia, je dis :
« C’est pour lui que je suis exilée, qu’il soit châtié »
Dites à sa mère de le protéger ou de l’envoyer car, pour lui, les arabes me tiennent rancune.
Dites à sa femme de ne pas pleurer et de ne pas croire qu’il l’a quittée ; dites-lui que son mari restera une nuit avec elle et dix avec moi[5]
Dites à sa mère de m’envoyer un effet parmi ses vêtements
Mon amour ne vient pas combien je le languis.
Document 8
Marque « Diamophone »
Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Chaouch Ettayera
Editer (sic) par la St Nobel française, Bd Hausman(sic), Paris
N° du visa :
Chanson accompagnée de la flûte
O, vaguemestre actif, pourras-tu me donner immédiatement des indices
Pourrons-nous rencontrer, Djardjara[6], celle dont les yeux noirs me font souffrir ?
O, cheval gris, ta selle et ton harnachement te sayent bien ; tu es (sic) monté par un homme sans cœur qui t’a blessé sur les flancs
Des tentes que l’on aperçoit là-bas, sont sorties des jeunes filles, voilées, habillées de leurs plus belles parures, oh ! Mon cœur brûle à périr !
Leurs yeux doux sont couverts de « Kohol », les cils retombent et les seins font saillie
Il est venu me voir, la veille du lundi et j’ai dormi dans ses bras.
Il vint me voir la veille du jeudi, je dormis aussi dans ses bras et le lendemain il a été recruté comme spahi
Ses beaux yeux doux ressemblent à des pierres précieuses
O, faites-moi la « chahada », son amour me fait périr
O, mon amant, me divertir ou rester belle ?
La vieille est grincheuse et le vieillard se métamorphose comme Satan !
O mon oncle, je ne mangerai plus le pain, je ne veux plus goûter qu’au sucre ou à la viande de mouton
Il s’agit d’un jeune homme, vêtu de 2 cafetans
Quand ils l’introduisirent dans le quartier ils lui donnèrent le nom : Smaïl.
Document 9
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Taieb Ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Rouli Berghiar
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman(sic), Paris
Roule, Belghist, Roule dans ce pays lointain !
Il a pris sa place à Bône et s’en fut pour Blida
Sa mère pleurait à chaudes larmes et admirait son portrait
Mais celle qui m’a le plus peiné, c’était sa jeune épouse
Sa mère pleurait et criait d’une voix aiguë
Et Daouadi m’a apitoyé car il ne reviendra plus
Au café de France quand on plaça les chaises on apprit
Que Bouzid Châoui était mort et que Boubaker était condamné
Assis au café, devant un verre et une soucoupe, il a dit :
« Boubaker me cause du chagrin parce qu’il a été condamné »
Un arbuste a poussé sur sa tombe, combien j’ai été chagriné
Par la mort de Bouzid, Bouzid qui était ivre a dit au Procureur de la République : « Je vous demande pardon ! »
Zenda pleurait tout en pliant le turban et disait :
« Que de chagrins, Boubakeur a été conduit à Maison-Carrée »
Fatma-Zohra pleurait et se lamentait et disait
« Bouzid, le chevalier émérité me cause de la pein (sic) ».
Document 10
Marque « Diamophone »
Taieb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Ouech Teraa Ghelmou
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman(sic), Paris
Que broute son troupeau ? Broute-t-il de l’herbe ou les feuilles de peuplier ?
Et pour quel motif nous séparerons-nous ?
Je suis allée chasser la perdrix et le chacal, mais faites-lui rappeler la « Chehada », sinon il mourra en pays étranger
Où est-il assis ?- Là, contre l’arbre, qu’importe ! Le cœur s’est refroidi et est devenu comme la pierre
Je suis plus affligée qu’une chamelle abandonnée en plein Sahara
Il me suffit d’étouffer un feu, pour qu’un autre feu s’allume
O, chauffeur de taxi ! Force l’allure de ta voiture et ainsi nous arriverons à temps pour lui faire la « Chahada » et lui éviter de mourir comme un infidèle.
Oui, il m’a donné sa parole, me fit jurer au cours de la nuit et ainsi, il m’a possédé.
Son nom est gardé jalousement par moi, ses caractères sont sur mon sein
Mais hélas ! J’étais autrement aimée par lui.
Document 11
Marque « Diamophone »
Taieb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Allali Djenen Erroumi
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman, Paris
Chanson accompagnée de la flûte
Au jardin « Roumi », dont les arbres perdent les feuilles, mon bien-aimé est ivre.
Ô mon joueur de flûte, joue une chanson du « Khroub » car je me sens emportée comme par le glissement des montagnes
Qui seul est mon breuvage préféré, combien il est doux
Je dois porter le deuil, car les chevaliers du « Barond (sic)» ne sont plus.
Je me suis penché du côté de Sétif et j’ai scruté l’horizon
Viens, ô mon bien-aimé et je te ferai mes confidences
Moi, j’ai fait les aveux de mes sentiments amoureux
Quant à lui, il cache les siens
Voilà le facteur ! Dès qu’il m’a remis la lettre, je l’ai lue
Et je fus soulagée là-bas, à oued Bousellam, j’ai détaché une
Branche et j’ai dit « O, Oued, fais part de mes sentiments à Khrief ».
L’année dernière était venue avec la prospérité, mais cette année nous sommes dans le désespoir.
O, tante El-Amria, combien cette robe blanche te sied,
Excuse tes filles !
Document 12
Marque « Diamophone »
Taieb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Ech Ya Quessabi Elghetli Legta Khroubia
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman, Paris
Chanson accompagnée de la flûte
O, joueur de flûte, joue une chanson du « Khroub »
Car, je me sens emportée comme par le glissement des montagnes
O toi, qui m’a fait promesse sur promesse
Qui m’a fait jurer au cours des veillées, tu m’as conquise
Il n’est pas venu, il n’est même pas passé aux alentours
La flamme d’amour brûle en moi
Arabes, laissez-moi donc, et pour toujours
Mes amis deviennent mes plus grands ennemis
Eh bien ! Je le changerai, je prendrai un autre amant,
Mes espoirs sont en Dieu, mais pas en lui
Vous qui allez l’enterrer, descendez-le tout doucement, est-il vrai que cette beauté est en putréfaction
Je me suis alors accoudé sur un coussin et, quand je me suis rappelé mon amant, j’ai pleuré.
Sers-moi à boire dans le verre fond,
Mon amant était jeune et étranger
Ô tante El-Amria, je n’ai pas pu me maîtriser devant l’enfant du pays, excuse-m’en
Document 13
Marque « Diamophone »
Taieb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Allali Amar Djaro
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman, Paris
O Ameur, ces gens deviennent des Tyrans par leurs richesses et leurs enfants
Je préférerai l’exil au pays chaouïa !
Par où est-il passé ? Sur le chemin de Sidi-El-Khier ? Dois-je écrire ou lui faire dire ?
O, Oued Bousellam ! Je t’enverrai des cierges et de l’encens
Mais il te faudra exaucer mes vœux – Je viendrai en pèlerinage
J’ai fait tatouer mes bras, je les mettrai comme coussins à mon amant
Mes seins sont tombés après qu’ils fussent forts et rigides,
Dois-je en pleurer ?
O Sidi El-Khier, je suis arrivée pieds nus chez toi !
Fais que mes vœux soient couronnés de succès !
Vous qui allez l’enterrer, descendez-le doucement
Est-il vrai que cette beauté est en putréfaction ?
Non ! Mettez-le dans le véhicule et conduisez-le vers la demeure
De la distinguée – là, vous le laisserez O les beaux cheveux,
Plus obscurs que la nuit ! C’est Zohra qui a défait sa chevelure
Ce verre de bière à la couleur jaunâtre, me tente mais l’amour
Surgit et se propage, comme la fièvre.
Document 14
Marque « Diamophone »
Taïeb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Allali Ouehla Bikoum
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman, Paris
Soyez les bienvenus, vous qui demandez à passer la nuit
Sachez tout d’abord que mes entrailles sont déchirées
Et que ma détresse est semblable à celle qu’éprouve la chamelle
Séparée de son chamelon
Malheur à celle qui se détourne de son amant !
Les jours se succèdent et il la fera souffrir.
Mon cœur est sain, mais les gens tentent de le corrompre
Qu’ils sachent que mon entretien incombe à Dieu et non à une créature comme lui
Certes, j’ai fait les aveux de mes sentiments amoureux
Qui les tient au secret
O, larmes vous qui ruisselez de mes yeux
Combien vous êtes fraîches !
Et combien la route du « Khroub » est loin !
O vous qui enterrez mon amant, descendez-le très doucement
On frappe à la porte…tante, va ouvrir !
Que mon amant pénètre et je lui ferai part de mes déboires
On m’a dit : « Tu mourras, tu mourras, on te feras coucher… » ;
Je me suis levée dans la nuit et me suis mise à la recherche de mon amant, que j’ai trouvé ivre mort.
Que possède-t-il, mon amant ? Un cheval attaché devant la tente
Et je préfère plutôt cette situation qu’un mariage avec dot
Donnez-moi à boire, servez de l’eau dans un verre
Quant à l’amour, eh bien, il était écrit
Nous avons passé une nuit à nous enivrer et nous ne nous séparâmes qu’au lever du jour.
Document 15
Marque « Diamophone »
Taïeb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Allali Memtou Tebki
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman, Paris
Chanson accompagnée de flûte
Sa mère pleure en criant : Daoudi me fait de la peine, car il ne reviendra plus
Daouadi, le fils de la vertueuse Baya m’apitoie
Daouadi, me cause du chagrin et ses cousins sont absents
Où a-t-il succombé ?- Devant le bain maure, meure ô Daouadi, tu as laissé tes gandouras en tussor…
Ô maison blanche combien le miroir te va bien, mais Daouadi s’en est allé et t’a laissée
Ô sainte Baya, tu es assise sur un matelas, Daouadi me cause du chagrin, car il ne retournera plus
Sa mère pleurait, elle portait un parapluie Daouadi m’apitoie car, hier, il était parmi nous
Sa mère pleurait, elle portait ses effets
La cause de Daouadi est soumise au Bureau.
Document 16
Marque « Diamophone »
Taïeb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Elyoum Djaou Arab Elmimer
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman, Paris
Aujourd’hui, les Arabes de Mimer sont arrivés
Les arabes à l’Etendard sont venus pour la prendre
Evitez-lui les chutes, et ménagez cette adolescente !
O mes frères, au-dessus d’elle le tonnerre a grondé
Il a rugi avec fureur et une pluie diluvienne s’en suivit
Qui fit déborder ravins et rivières.
Ma bien-aimée demeure dans mon cœur,
O Baya où est ta fille ?
Pourquoi les arabes sont-ils venus chercher
Celle qui porte un collier d’ambre au cou ?
Que Dieu maudisse Satan
J’ai été frappé par mon mari
C’est mon père qui m’a délivrée
Ah si j’avais un rasoir « Seudi » je lui perforerai les flancs.
Document 17
Marque « Diamophone »
Taïeb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Daret Chentouf Ouel Khoumsa Fiousto
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman, Paris
Elle a porté un collier avec, comme pendentif, une main de Fatma,
Et a dit : « Il n’est pas venu, pourtant j’ai payé mes bijoux ».
Elle a mis des souliers avec des talons et a dit : « Il ne vient pas les journées s’allongent ».
Elle mit des souliers brodés et dit : « Il ne vient pas, certes
Il est dans un pays éloigné ».
Elle se para d’un frontalier reluisant et dit : « Il ne vient pas,
Oui, mais il est complètement ivre ».
Elle porta ses belles soieries et dit : « Il ne vient pas, mais
Doit-il m’en vouloir ? »
Tes lèvres sont vermeilles et viennent de la couleur noyer, ô,
Le plus distingué des hommes
Tes lèvres sont vermeilles
Tu ne viens pas ? Mais Dieu veut ressusciter tes morts !
Document 18
Marque « Diamophone »
Taïeb ben Amor, 13, rue de France, Constantine
Titre du disque : Louht Beaini Lechakra
Editer par la St Nobel Française, Bd Hausman, Paris
Chanson accompagnée de flûte
J’ai jeté mes regards vers le nord
Je vis de grandes tentes
Je vis le Saint Zitouni, le marabout distingué qui fit des miracles
Là-bas, sur les hauteurs, ils ont allumé des bougies
Qui sont donc ces jeunes filles ?
Là-bas, sur les hauteurs, on a allumé la lanterne, où est donc Ammar ?
J’ai étalé moi-même un tapis rouge aux couleurs diverses.
Glisse tes mains sur mes seins et tu sentiras la chaleur.
Notes
[1] Carton 9h37(18) : Musique et musiciens – Surveillance (1906-43) / Censure théâtrale et cinématographique (1931-41) / Théâtre arabe. Tournées Mahieddine (1936-1944).
[2] Hachelaf (Ahmed et Mohamed-Lahbib), Anthologie de la musique arabe, éd.Publisud et CCA, 1993.
- Achour Cheurfi, dictionnaire des musiciens et interprètes algériens, Anep, 1997.
[3] Il y a, me semble-t-il, du Kateb Yacine dans le chant n°9 : la question n’a jamais été posée, à ma connaissance, de l’influence de ce que l’on peut appeler, faute de mieux, la « culture populaire » algérienne, sur une œuvre aussi profondément enracinée dans l’imaginaire algérien que l’œuvre de Kateb Yacine. Ces chants du terroir constantinois ont du bercer l’enfance et l’adolescence de cet écrivain très proche de son peuple et de sa culture, et laisser une empreinte profonde sur son univers intérieur, et déterminer, pourquoi pas, même son style. En tous les cas, son théâtre, lui, doit beaucoup à la chanson populaire algérienne, ce qui n’est pas un moindre indice de cette influence.
[4] Ici, le traducteur a laissé un blanc.
[5] Ici, le traducteur a laissé une ligne vide.
[6] Celle qui est blanche comme le Djurdjura portant la neige (Kabyle) (note du document